“Mon départ n’est pas la fin de notre amitié”
Le Père Lambert quitte la paroisse, la suite s’écrira pour lui en Guinée Conakry, dans la Région de N’Zérékoré qui l’a vu naître.
Il a accepté de revenir très brièvement sur son parcours, ses années marseillaises et ses projets pour l’avenir.
Vous quittez ce mois-ci Marseille pour retourner en Guinée où vous êtes né. Mais comment avez-vous atterri à Notre-Dame-du-Mont ?
De 2013 à 2021 j’étais en service dans un Dicastère du Vatican, où j’ai occupé des fonctions diverses. Je m’occupais du Secteur des nomades et des gens du voyage ainsi que de la Pastorale aéroportuaire. J’avais enfin des responsabilités au sein de la Section Migrants et Réfugiés, en tant que Coordinateur pour l’Afrique. Arrivé à un moment, il y a eu beaucoup de changements et je ne m’y retrouvais plus. J’ai reçu deux propositions, Marseille ou le Burkina Faso. C’est un ami du Cardinal Aveline qui m’a proposé Marseille, où j’ai été pris pour une mise à disposition de trois ans. À Notre Dame du Mont, j’ai exercé des fonctions de vicaire qui a impliqué la pastorale ordinaire, le catéchisme, l’accompagnement à l’aumônerie et dans les écoles catholiques, les scouts, les repas solidaires et à l’écoute des fragilités dans le quartier.
Quel a été votre parcours et votre chemin dans la foi avant cela ?
Je suis né dans le sud de la Guinée, dans un village près de la ville de N’zérékoré. Mes parents étaient agriculteurs, nous étions dix enfants, cinq frères et cinq sœurs. À l’âge de dix ans je suis parti vivre à Conakry avec mon frère et sa femme, la famille a pris cette décision pour que je puisse avoir l’opportunité de continuer mes études. Ce n’était pas facile de quitter ma mère, mais mon frère a réuni toutes les conditions pour que je m’adapte. J’ai grandi dans une famille, attachée à la tradition africaine, mais aussi libre dans la pensée, qui respecte la liberté de conscience de chacun. L’Evangile m’a touché le cœur tardivement, j’ai senti la vocation de devenir prêtre avant le baptême à l’âge de vingt ans. À l’adolescence j’étais porté à aider les autres, j’ai rejoint la Communauté de Sant’Egidio, je participais à des actions en prison, je donnais des cours de rattrapage dans les quartiers pauvres de Conakry…J’allais déjà à l’église et le déclic est venu un jour après avoir écouté l’homélie d’un prêtre sur la “La moisson est abondante, mais les ouvriers sont peu nombreux ; priez donc le Maître de la moisson d’envoyer des ouvriers à sa moisson”(Matthieu 9, 37). Je me suis senti invité, alors je suis allé voir le prêtre pour lui dire que je voulais moi aussi devenir prêtre. Il m’a dit qu’il fallait d’abord être baptisé. C’était en 1997, trois ans plus tard, à Pâques 2000 j’étais baptisé à Yamoussoukro, en Côte d’Ivoire. À l’époque je faisais des études de sciences sociales et en 2002 j’ai passé le concours d’entrée à l’université, je voulais étudier l’histoire ou le droit. Finalement je suis parti à Rome pour faire le séminaire.
Comment s’est passée votre arrivée en Europe ? N’est-il pas difficile de vivre tous ces changements ?
L’intégration était bien faite, j’ai été accueilli dans une famille italienne qui m’a adopté, ils m’ont introduit à la culture et à la langue j’y ai passé deux ans. J’ai eu une très belle relation avec eux. Quand je vais à Rome, je loge encore dans cette famille. Après mes deux années d’université pontificale j’ai intégré le séminaire en 2005. J’y ai rencontré d’autres séminaristes qui avaient fait le même chemin et on a créé des liens d’amitié. J’ai eu des moments difficiles mais je ne les ai jamais affrontés tout seul et j’ai trouvé de la force dans la prière. Il faut aussi garder à l’esprit que c’est un choix, un dessin que j’ai mûri. L’évangile nous aide à cette aventure, Jésus a eu une vie agitée de la conception à la mort, c’est un perpétuel mouvement. Quand un prêtre regarde la vie de Jésus, il apprend à vivre dans la réalité où l’Esprit l’envoie en mission.
Qu’allez-vous faire à présent en Guinée ? Est-ce que ce départ était un choix de votre part ?
Oui, c’est un choix personnel avec le concours de beaucoup de choses qui m’amène à rentrer en Afrique, ça fait 20 ans que je suis en Europe, il est aussi temps pour moi de restituer un peu de mes expériences. Je retourne à N’Zérékoré, où j’ai aussi une partie de ma famille avec ma maman âgée de 88 ans. C’est un défi, je suis comme face à l’inconnu car je vais trouver de nouveaux visages, même si j’ai aussi beaucoup d’amis là-bas. Je ne rentre pas avec des solutions préconçues, mais avec l’envie de faire des rencontres, de rejoindre les autres dans la mission commune et mettre mon charisme au service de l’église locale, de faire avec les personnes. J’ai mon doctorat en Droit Canonique et j’envisage aussi de mettre à profit ce que j’ai appris cette année en faisant le Diplôme d’Etude de Relation Islamo-Chrétienne, à l’ISTR, car la Guinée est un pays majoritairement musulman.
Que gardez-vous de votre expérience marseillaise ? Avez-vous un message pour les paroissiens ?
Avant de venir ici, on me disait de me méfier car Marseille est une ville à mauvaise réputation. Mais même s’il y a des difficultés sociales, je pense qu’à Marseille chacun trouve sa place d’une manière ou d’une autre. C’est une ville qui te met au défi, te fait descendre de ton piédestal et pour te faire confronter avec la réalité. J’y ai trouvé un très bon accueil, des gens de la paroisse et du quartier. Ils m’ont ouvert leurs cœurs, leurs maisons et permis d’exercer mon ministère de manière sereine. Marseille va me manquer, mais mon départ ne signifie pas la fin de notre amitié, on va continuer à échanger entre Marseille et la Guinée.
Propos recueillis par Meriem Bioud