Quitterie nous raconte son expérience à bord du Bel Espoir : “oui, on a eu des discussions pas faciles”.

Quitterie a embarqué à bord du Bel Espoir entre Naples et Marseille où se sont achevés le 25 octobre les huits mois de traversée de ce navire école de la paix. Quelques jours plus tard, elle reste marquée par la rencontre profonde avec les autres participants et souhaite continuer de s’investir notamment en partageant les leçons de son expérience. 

Qu’est-ce qui t’a amenée à participer à l’aventure Bel Espoir Med 25 ?

Quitterie : En 2023 j’ai été cheffe d’équipe pendant les rencontres méditerranéennes, ça m’a ouvert le cœur et l’esprit sur la Méditerranée. Quand le projet Med 25 a été lancé, on m’a proposé de rejoindre l’équipe d’organisation mais je n’ai pas pu car mon emploi du temps était trop chargé. J’ai ensuite candidaté mais il n’y avait pas de place. Finalement, on m’a rappelée pour organiser la dernière session de Naples à Marseille autour du thème “construire la paix”. Mon emploi du temps s’était allégé donc j’ai pu m’engager, j’avais un rôle d’aide à l’encadrement. Je devais gérer les visas des jeunes et leur venue jusqu’à l’aéroport par exemple. 

Comment décrirais-tu l’expérience à bord ? 

Q : On a commencé avec un colloque sur la paix à Naples, une visite de la ville et la préparation d’un repas pour les pauvres avec l’association Caritas. La particularité de mon bord est qu’on a eu deux jours de plus sur terre à Rome pour accueillir le Pape. Ensuite, on est partis pour la navigation. On fait une rencontre en profondeur de tous les participants, d’abord parce que chacun est là parce qu’il en a envie, ensuite grâce aux temps d’équipe. Les trois premiers jours, par exemple, on raconte notre récit personnel de vie, on apprend à dialoguer ensemble et à explorer nos horizons intérieurs. 

Est-ce qu’il y a eu des moments plus complexes lors de vos échanges ? 

Q : Oui, on a eu des discussions pas faciles. Il y avait dans notre groupe deux jeunes femmes palestiniennes qui portaient des choses lourdes, ça s’est senti dès l’arrivée. Un soir, nous avons eu une discussion sur la situation des réfugiés palestiniens en Egypte. Le ton est monté et il y a eu des propos blessants pour certains. Un moment, une d’elle a dit : “Merci, c’est intéressant mais on va arrêter la discussion”. Le lendemain, il y a eu des pardons qui ont été formulés. On se rend compte qu’il y a une différence entre refaire le monde quand on est à distance d’une situation et d’en parler avec des gens qui sont directement impliqués. 

Avais-tu déjà navigué ? Quel était le rôle du bateau dans le programme ? 

Q : Je fais déjà de la voile sur des bateaux habitables. Le bateau permet de créer plus rapidement du lien, un groupe et une vie ensemble, il faut des règles communes. On doit aussi participer au service avec les manœuvres, le repas, le ménage. Il y a aussi le mal de mer. Il y a eu une nuit de tempête pendant laquelle chacun a dû aider les autres. Dans des moments comme celui-là, on ne montre pas que nos bons côtés, cela crée des relations plus vraies et plus profondes. La mer ouvre aussi à la contemplation, il y a quelque chose de spirituel. Et être sur la mer comme des migrants, c’est fort comme symbole.

Qu’est-ce qui a changé dans ton regard sur la Méditerranée pendant cette expérience ? 

Q : Je pense que j’ai vécu un décentrement. Ça m’a permis de réaliser les difficultés quotidiennes que peuvent connaître les autres, je pense en particulier à deux jeunes Irakiens qui vivent à Bagdad. Ils nous ont expliqué qu’il n’y a pas de transport en commun dans leur ville et que tout le monde se déplace en voiture. Ils nous ont montré des photos de l’épais nuage de pollution que ça crée. J’ai aussi pu apprendre des autres, par exemple sur l’interreligieux grâce à un couple de tradition musulmane, ils m’ont appris une posture de dialogue. J’ai enfin été marquée par l’histoire de Muhannad, un Lybien qui a participé à la révolution de 2011 et qui est arrivé en France illégalement. J’ai trouvé dans son récit beaucoup de force de caractère et de résilience. Dans le groupe, il y avait des jeunes qui vivent des situations de guerre ou de migration et d’autres qui vivent en Espagne ou en France et qui ont aussi leurs problèmes, mais moins prégnants. On réalise qu’on peut se soutenir les uns les autres dans la prière mais aussi au quotidien en créant des relations. 

Comment as-tu vécu ton arrivée à Marseille ? 

Q : C’était incroyable, c’était beau avec tous ces bateaux. C’était beau de voir l’accomplissement de cette odyssée de huit mois. C’était grandiose d’arriver dans ma ville par la mer. De voir les gens qui ont aidé à construire le projet par des dons d’argent ou de temps, c’était une vraie joie.  À bord c’était aussi le jour du bilan. 

Penses-tu garder contact avec les autres participants ? 

Q : Pour l’instant, on a un groupe Whatsapp sur lequel on parle beaucoup, on a prévu de se retrouver à Barcelone en décembre et peut-être d’aller ensemble à Bagdad un jour. Après les rencontres de 2023 j’avais voulu garder le contact avec tout le monde, mais je sais que sur le long terme, c’est compliqué. Je vais aussi garder contact avec les personnes qui sont proches géographiquement, comme Muhannad qui vit à Toulouse,ou les participants italiens. Enfin, sur le bateau, il y avait des filles algériennes que j’avais rencontrées pendant les rencontres en 2023, ça a été une grande joie de les retrouver. Ça a créé une relation plus longue, aujourd’hui je pense que ce sont des amies. 

Y-a-t’il des projets que tu souhaites poursuivre en Méditerranée ?

Q : Depuis les rencontres de 2023 je suis membre d’un groupe de dialogue interreligieux qui compte quatre chrétiens et quatre musulmans. J’aimerais continuer de m’intéresser aux projets notamment sur l’entrepreneuriat en Méditerranée. Une idée avait germé lors d’une table ronde à laquelle j’ai assisté pendant les rencontres de 2023. J’avais pensé permettre à des entrepreneurs de voyager dans d’autres pays du bassin pour s’inspirer des solutions des autres. On a parlé d’en faire un  projet commun avec Muhannad.

Comment s’est passé le retour dans ta vie ? 

Q : C’est un projet qui me marque beaucoup et j’ai envie de le partager c’est une vraie richesse que je ne peux pas garder pour moi toute seule. Beaucoup de gens m’interrogent, ça m’a permis de relire ce que j’ai vécu, ça me rappelle la grandeur de cette expérience. Le terme construire la paix me revient beaucoup, je veux la construire avec celui qui est plus proche de moi, dans mon boulot, avec mes amis et ma famille.

Il y a des regards positifs et négatifs, certains de mes amis m’ont dit mais à quoi ça sert de dépenser autant d’argent pour ça ? Mais quand je leur explique mon expérience ils me disent que ça leur est utile même pour des choses de la vie quotidienne. 

As-tu des conseils tirés de cette expérience à partager ? 

Q : Je repense à l’homélie du Pape François au stade vélodrome. Il a dit que notre Église devait être inspirée de la Visitation et du tressaillement d’Elisabeth quand elle comprend que Marie est enceinte de Jésus. Je pense qu’il faut vivre ce tressaillement et avoir cette envie quand on rencontre quelqu’un. Il faut se demander qui est cette personne en profondeur et ne pas s’arrêter à l’image qu’on peut avoir d’elle selon son origine, son métier, son statut…